25.3.12

Chronique digestive /1

"Mais non M'sieur le juge, c'est pas moi, c'est la société"


Monster, Patty Jenkins.
2003 - 1h51

La plupart des films inspirés des méfaits de serial killers sont des thrillers, celui-ci est classé comme drame ou biopic. Il ne sera donc pas sanglant, son objet ne sera pas de faire frémir le spectateur, mais de lui donner du vrai, du sensible, de l'engager à la compassion et la compréhension. C'est qu'il ne s'agit pas de peindre un, mais une tueuse en série.
D’emblée, ça commence mal.

Aileen a vraiment eu une vie de merde : misère, abus sexuel, rejet de sa famille, ça ne pouvait que mal finir. Elle se prostitue dès l'âge de 13 ans, se torche la gueule abusivement, avec une vie aussi dure, elle gagne une bordel de sale tronche et ressemble à une sacrée camionneuse. Cependant, rassurons nous, une belle rencontre lui fait de nouveau croire en l'amour. Le film commence avec cette rencontre. Le camion d'Aileen est en rade, il pleut des cordes, elle va se réfugier dans le premier bar venu avec une putain d'envie de s'en jeter un, voire, de claquer ses 5 derniers dollars et se flinguer ensuite. Comme Aileen a vraiment la poisse : c'est un bar de gouines. Une brunette, pas vraiment plus gâtée par la nature la remarque et lui propose de lui payer des coups. Mais attention Aileen n'est pas une fille facile et encore moins une gousse, elle l'envoie péter. Pourtant, la brunette est choupinette, sa gentillesse a raison des réserves d'Aileen, elles finissent par se torcher la gueule et rentrer ensemble, "en tout bien tout honneur". La brunette s'appelle Selby, elle a été mise au ban de sa famille catho-conservatrice parce que cette cochonne a embrassé une fille. Elle loge pour quelque temps chez des amis de ses parents qui ne sont pas moins à cheval sur les conventions et voient d'un très mauvais œil la nouvelle amie de leur pupille.
L'amour, oui l'amour, toujours l'amour a raison de ces brimades, et nos deux donzelles de rendez-vous en rendez-vous finissent par se rouler des galoches, se peloter dans les coins.

À ce point, on entre dans le vif du sujet : Aileen a rendez-vous avec sa douce devant la patinoire. Avant de la retrouver, elle tapine sec pour réunir du fric et financer leurs virées, c'est elle qui fait l'homme. Comme le monde est vilain et la vie est dure pour les putes, elle tombe sur un client jobard qui la ficelle dans sa bagnole et la viole. Aileen, les forces décuplées par l'amour, parvient pourtant à se libérer et bute le mec avec son gros flingue. Elle le dépouille de son fric, fauche sa caisse, et en pleine nuit, part réveiller sa brunette, que cette dernière ne se croit pas délaissée.

On aurait pu croire qu'à partir de ce premier meurtre, le film allait se focaliser sur les suivants. Mais il n'en est rien. Le centre de la narration, c'est l'histoire Aileen / Selby et le conditionnement à la violence opéré par cette fameuse vie merdique. Parce que, non Madame, non Monsieur, Monster n'est pas un thriller, Monster n'est pas un film de distraction, c'est un film qui à quelque chose à dire contre cette méchante société américaine qui broie les exclus, ouh la vilaine ! Et ce quelque chose à dire, il faudrait être déficient ou totalement con pour ne pas le comprendre tant il est asséné par la narration et les dialogues.

Autrefois, on considérait les femmes comme mineures et non responsables de leurs actes au point qu'elles devaient écouter leur père puis leur mari (et le curé) pour rester dans le droit chemin, il semble qu'on en soit encore-là. La pauvre, pauvre Aileen est livrée à elle-même dans un monde de porcs et niveau déresponsabilisation, ça y va. Le premier meurtre d'Aileen est donc présenté comme défense légitime suite au viol. Quant aux suivants, ils sont conséquences du trauma de cet événement et de contingences financières. On remarque que Selby n'est pas étrangère à cette pression économique, puisque lorsque l'argent vient à manquer, même si elle propose mollement de travailler, elle n'hésite pas à inviter sa compagne à retourner tapiner. Finalement, elle aussi est le produit de son milieu : une femme qui demande que son compagnon fasse bouillir la marmite, offre un certain confort matériel et une heureuse sécurité. Salope de classe moyenne !


Aspect non moins exaspérant, c'est cette justification qui fait poids dans certaines caboches : le film se place sous l'égide du vrai. C'est un biopic, l'affiche nous dit bien "based on a true story", contextualisation reprise en carton au générique et revalidée en final par l'annonce de la condamnation dont écope Aileen suite à son procès. Aussi, la réalisatrice pour mener à bien son film a gagné la confiance des deux femmes, les a rencontrées. Même, Aileen lui a communiqué avant son exécution une partie de leur correspondance. Et performance notable, les deux actrices, assez jolies dans la vraie vie, ont accepté de prendre quelques kilos et de s'enlaidir pour l'occasion. Comme c'est courageux !
Mais qu'en est-il de ce fameux "réalisme" lorsque l'on sait que selon la définition amise, le (ou la) criminel(le) en série a pour spécificité (entre autres) d'être convaincu que ses crimes sont justifiés et surtout, de ne ressentir aucune culpabilité à les perpétrer. Pour le coup, ici, cette question de la culpabilité pose vraiment problème puisque, à deux reprises, on voit Aileen confrontée au doute (lorsqu'elle se trouve obligée de tuer cet honnête époux d'une femme handicapée qui la prend en stop, lui propose de l'aide et lorsqu'elle épargne ce pauvre homme qui dit ne pas aimer la violence, avoir recours pour la première fois aux services d'une pro). D'autres aspects du film démontent ce fameux argument de réalisme, je ne les listerai pas tous, sans quoi je deviendrai trop emmerdante et chipoteuse.
Pour clore le sujet, je dirai que je suis plutôt séduite par les œuvres (surtout littéraires) qui jouent de la porosité entre réel et fiction, mais avec Monster et son incohérence, on est bien plus dans l'erreur que dans le jeu.

Bien sûr, avec un peu de malhonnêteté, on peut arguer que le film se place du point de vue d'Aileen et nous demande de percevoir le monde par ses yeux, ce qui déresponsabiliserait la réalisatrice. Vous vous doutez que je n'adopterai pas cette position.


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